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Chronique de l’agriculture urbaine : exemple de la ville de Paris

 

              

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’agriculture urbaine, dans sa définition la plus large, est une agriculture située à proximité de la ville, ou en son sein même. La production de nourriture à l’intérieur des villes est un enjeu majeur pour les populations urbaines, et un levier important de la sécurité alimentaire. Activité tantôt vivrière, économique, sociale,  sa multifonctionnalité est illustrée par la grande diversité de ses manifestations à travers le monde.

 

Selon les estimations de la Food and Agriculture Organisation, un peu plus de  800 millions d’urbains sont impliqués dans l'agriculture urbaine, qui leur permet  de se procurer des revenus et/ou  de  produire de la nourriture. D’après des collectes de données auprès des populations et des projets de recherche, une grande partie de la nourriture produite par l'agriculture urbaine est destinée à la consommation familiale et les excédents occasionnels sont vendus sur le marché local (FAO, 1999).

 

Dans les pays du Nord, l’agriculture urbaine a perdu sa fonction alimentaire de proximité avec le développement des transports, l’internationalisation des marchés et le développement de la grande distribution (1).

Cependant, on a pu constater notamment suite aux dernières  crises sanitaires et  alimentaires, un regain de la demande de produits locaux, à travers la croissance et la diversification des circuits courts alimentaires (2).

 

Dans certaines villes des Etats-Unis, à Detroit par exemple, des formes d’agriculture urbaine se sont développées sur des friches industrielles, la ville étant désertée par les industries suite à la crise économique.  Les habitants ont donc investis ces espaces afin de les transformer en zones vivrières (3).

 

Néanmoins, les projets européens d’agriculture urbaine sont lents à essaimer et se pérenniser, malgré un nombre important d’initiatives locales et citoyennes. La durabilité de ses projets au sein de nos villes dépend de freins et verrous dont parfois non pris en compte au démarrage des projets.

 

En Europe, les raisons qui ont menées à la disparition de l’agriculture des villes, et celles qui mènent à sa réapparition de nos jours, sont différentes. Après avoir détaillé les contextes permettant ces évolutions, en prenant l’exemple de la ville de Paris, nous nous intéresserons aux limites de l’expansion des cultures urbaines.

 

 

L’agriculture urbaine chassée de la ville au 19e siècle

               

Au cours du siècle dernier, les maraichers des zones péri-urbaines ont fortement diminué en nombre. Mais cette tendance a commencée dès le 19e siècle avec la disparition des maraichers parisiens intra-muros.

 

Au 18e siècle, les jardiniers-maraîchers de Paris cultivaient les  terrains dits « en marais » pour produire des fruits et légumes ensuite vendus aux halles où des emplacements qui leur étaient réservés. Ces terrains, qu'ils avaient assainis, devaient être régulièrement amendés avec des « boues urbaines » qu'ils avaient le droit de prélever dans les rues (4). En 1776 ont été recensés près de 1200 jardiniers-maraichers à Paris (5).

 

La pression foncière est la première cause de la disparition de l’agriculture urbaine, l’accroissement de la population citadine ne permettant plus le maintien d’une activité potagère sur des terrains convoités par le besoins en logement.

 

Grace au développement important des transports, notamment réfrigérés, les aliments n’avaient plus besoin d’être produits à proximité des foyers de consommation.

 

La perte des sources de fertilité s’est opérée en même temps que  les animaux, les chevaux étant remplacés par des voitures,  ont disparu des villes affaiblissant la rentabilité économique de la production maraichère sur des petits, voire très petits espaces.

 

Le mouvement « Hygiéniste » entrainé par les travaux de Pasteur au 19e siècle a également contribué à la disparition des maraichers urbains, en éliminant les déchets organiques des villes (6).

 

De plus, la délocalisation des halles à Rungis et l’ouverture du marché international ne permirent pas aux petits producteurs de rester, n’ayant plus leur place en ville. C’est  seulement en 2004 que les carreaux de producteurs locaux ont ouvert à Rungis. 

 

L’éloignement des lieux de production de la nourriture, et les mutations de la classe sociale paysanne a eu pour conséquences une perte des relations entre producteurs et consommateurs (7).

 

 

 

Renaissance de l’agriculture urbaine au 21e siècle

               

La réintroduction de la production alimentaire en ville s’est effectuée de façon totalement détachée du marché. Elle s’est plutôt réalisée comme une illustration du besoin d’un retour de la Nature en ville, d’un besoin de liens sociaux et de conscience environnementale (8). Les jardins associatifs, les jardins d’insertion ou les jardins partagés sont la principale expression de l’agriculture urbaine à Paris de nos jours. Il existe cependant d’autres types de potagers, développés par des entreprises,  tels les jardins sur les toits montés par Topager et même des projets de serres sur les toits proposés par Skyfarms.

 

Concilier convictions écologiques et bien-être social est au cœur des préoccupations des citadins prenant part à des activités d’agriculture urbaine. Des jardins collectifs (inspirés des Community Gardens anglo-saxons ou Victory Gardens américains) aux véritables fermes urbaines (la plus connue étant la LUFA Farm de Montréal), les exemples sont nombreux, bien que plus ou moins connus des parisiens.

 

Ces potagers sont pour la majorité réalisés sur des friches (avec des contrats plus ou moins précaires). L’un des objectifs de ces initiatives communautaires  est de démontrer qu’il est possible de produire une alimentation de qualité en ville, ou du moins une partie de son alimentation. Mais les terrains cultivés de cette façon le sont souvent aussi comme une forme de réappropriation de l’espace urbain, une manière de réintroduire la nature et l’environnement au cœur de villes étouffées sous le béton.

 

L’ONU et la FAO voient à travers le développement de l’agriculture urbaine une voie vers la sécurité alimentaire, surtout pour les populations les plus précaires.  A Paris, elle en encore trop peu développée pour tirer de telles conclusions, mais il convient de noter que ces activités sont principalement pratiquées par une certaine catégorie de la population : des gens qui se soucient de la qualité de leur alimentation, qui ont du temps pour s’occuper d’un jardin et des convictions écologiques ou politiques propres.

 

 

Limites et contraintes à la réintroduction de l’agriculture en ville

 

a-Pollutions

               

Un des principaux risques liés à la réintroduction de l’agriculture en ville est d’ordre sanitaire. L’environnement urbain engendre des externalités négatives, et les pollutions dans les légumes notamment interpellent pouvoirs publics et chercheurs. Les pollutions aux métaux lourds et aux particules issues du trafic routier sont-elles un frein au développement de l’agriculture urbaine dans les métropoles européennes ? La qualité des produits agricoles urbains peut-elle être affectée ?

 

Il existe trois types de pollutions pour les fruits et légumes cultivés : la pollution aérienne, la pollution du sol et celle de l’eau. Il a été montré que la proximité d’un fort trafic augmente la concentration des métaux lourds dans les cultures (9). Pour ce qui est de la pollution du sol, plusieurs éléments sont à prendre en compte. Tout d’abord, la pollution du sol peut être liée à l’historique de l’espace urbain : les contaminations peuvent venir des activités industrielles, des garages ou bien de la mise en décharge de déchets. Le sol devra donc être dépollué avant de pouvoir y mettre des légumes en culture. Mais les eaux de pluies, après écoulements sur les toits, sont aussi une source de pollution des sols.

Cependant, les détections de ses polluants sont parfois difficiles ou impossible à mener, c’est pourquoi il convient de rester vigilant avec les interprétations. Mais beaucoup de projets d’agriculture urbaine s’affranchissent su sol de la ville, les plantes étant cultivées dans des bacs, des pots (et donc parfois sur les toits).

 

Le sol est recréé artificiellement soit en important du sol (et donc ses potentielles pollutions avec), soit en utilisant un compost réalisé à partir de déchets urbains. L’utilisation de compost, contrairement à ce que l’on est tenté de croire, ne permet pas de s’affranchir des pollutions du sol. En effet, les matières organiques utilisés pour le fabriquer ont pu être contaminées (ex : déchets d’élagage d’arbres soumis au trafic routier). La bonne réalisation du compost est également importante pour la destruction de certaines molécules polluantes : les HAPs (Hydrocarbures aromatiques polycycliques) peuvent être résiduels, tout comme les pesticides des restes d’aliments compostés si le processus n’est pas réalisé correctement, ainsi que la prolifération de bactéries pathogènes (10).

 

La  contamination aux métaux lourds des consommateurs se fait soit par ingestion directe ou bien par inhalation ou toucher. De manière générale, la contamination par ingestion directe de sol (légumes mal lavés) ou cutanée (main en contact avec la terre) est beaucoup plus risquée que la consommation de légumes (11). Les types de pollution diffèrent selon les lieux de culture choisis.

 

 

Les métaux lourds, ou « éléments trace métalliques », sont présents en de plus fortes concentrations en ville qu’à la campagne (12). Les principaux éléments pouvant poser problème en maraichage urbain sont le plomb, qui malgré son retrait des carburants depuis les années 2000 est toujours présent dans les sols, et le cadmium, issus des objets galvanisé ou en zinc. Ce dernier  est mobile dans le sol et plus facilement absorbé par les plantes que la plupart des éléments (13) .

 

Les autres éléments le plus surveillés dans les sols sont le mercure, l’arsenic, le chrome, le  zinc, le nickel et le cuivre. En dehors du cas du plomb, pour lequel les études sont nombreuses, il y a en revanche peu de données sur la biodisponibilité des différents métaux ou composants toxiques, c’est-à-dire leur absorption par les plantes (14)

Une autre catégorie de polluants, les HAPs, est issue de la combustion incomplète des hydrocarbures, et en général associés à l’usage de goudrons et bitumes. Liés à la circulation routières sont aussi présent en milieu urbain les Composés Organiques Volatiles (COV : benzène, toluène…).

 

b-Biodiversité

               

Que ce soit par le verdissement des quartiers ou la mise en place d’espaces regroupant une grande variété de plantes, les différents projets en agriculture urbaine favorisent la biodiversité urbaine. En offrant un lieu de nourriture et d’habitation, les jardins maraîchers sont, entre autres, des espaces essentiels pour les abeilles solitaires et autres insectes pollinisateurs. En voulant s’approprier les toits pour la mise en place de jardins, le mouvement de l’agriculture urbaine joue aussi un rôle pour la biodiversité. Les toits verts sont des refuges pour la biodiversité urbaine, comme ont pu l’observer les chercheurs de l’INRA à propos du jardin potager sur le toit d’Agroparistech.

 

Beaucoup de projets d’agriculture urbaine à Paris prévoient de ne pas avoir recours aux engrais de synthèse ni aux herbicides et insecticides. Utiliser les principes de la lutte biologique en maraichage implique un emploi des insectes auxiliaires, qui contrôlent les populations de ravageurs et favorisent la pollinisation : chrysope, osmie, pamphrédons, carabes, coccinelle, abeille…  Outre le fait que ces espèces, introduites par l’Homme pour certaines, peuvent être invasives et nocives pour des espaces locales, comme c’est la cas pour la coccinelle asiatique (Harmonia axyridis Pallas) (15), ces « auxiliaires de culture » doivent trouver en ville un écosystème favorable à leur installation.

 

Cependant, il a été remarqué que les milieux urbains sont des lieux privilégiés pour les insectes, car ils trouvent encore  des abris et de la nourriture (16). Cette biodiversité urbaine, introduite pour afin de favoriser une agriculture des villes sans produits chimiques ou trouvant dans ce milieu un refuge privilégié, peut-elle avoir des répercussions sur la vie quotidienne des citadins ? Les insectes (attirés par les cultures ou bien par les ravageurs des cultures) en ville pourraient incommoder les habitants, ou pire, favoriser l’acclimatation d’espèces nuisibles ou porteuses de maladies (selon l’exemple du rat ou du moustique). Ceci n’est peut-être pas une question majeure à la lumière des externalités positives mises en avant par les chercheurs, mais elle est parfois soulevée dans les analyses de durabilité de l’agriculture urbaine (17).

 

 

 

Conclusion

 

L’actuelle maire de Paris a déclaré « vouloir faire une place à l’agriculture urbaine dans la capitale ».  Les acteurs politiques prennent peu à peu conscience des potentialités du développement de cette agriculture dans la vie sociale et le bien-être des Français.  Mais les obstacles sont nombreux, le contexte bien particulier par rapports aux exemples les plus connus (Detroit, Montréal, Madagascar…). Un soutien efficace à l’agriculture urbaine passera par une expertise scientifique mais aussi sociologique complète, ainsi qu’une reconnaissance par le monde paysan, qui voit aujourd’hui cette production urbaine comme une compétition avec le métier de maraicher, mal rémunéré et pénible physiquement.

 

Octavie Toublanc—Lambault

 

 

Bibliographie

1.            Morgan, K., Marsden, T. & Murdoch, J. Worlds of food. Place, power and provenance in the food chain. (2006). at <http://people.uwec.edu/kaldjian/1Courses/GEOG369/Coursereadings/Fall09/2_Worlds_of_Food.pdf>

 

2.            Aubry, C. & Chiffoleau, Y. Le développement des circuits courts et l’agriculture périurbaine: histoire, évolution en cours et questions actuelle. Innov. Agron. 53–67 (2009).

 

3.            Paddeu, F. L’agriculture urbaine dans les quartiers défavorisés de la métropole New-Yorkaise: la justice alimentaire à l’épreuve de la justice sociale. VertigO - Rev. Électronique En Sci. Environ. (2012). doi:10.4000/vertigo.12686

 

4.            LE TEMPS DES MARAÎCHERS FRANCILIENS - De François Ier à nos jours, Françoise Bussereau-Plunian. at <http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=29617>

 

5.            Guiffrey, J.-J. ~~Dictionnaire historique de la France...~~, par Ludovic Lalanne. Bibl. Lécole Chartes 34, 88–98 (1873).

 

6.            Vigarello, G. Histoire des pratiques de santé. Le sain et le malsain depuis le Moyen Age - Georges Vigarello. at <http://www.seuil.com/livre-9782020371230.htm>

 

7.            Nicolas, F. Bertrand Hervieu & François Purseigle, Sociologie des mondes agricoles. Lectures (2013). at <http://lectures.revues.org/11226>

 

8.            Thiébaut, L. Les fonctions environnementales de l’agriculture périurbaine. Cah. Agric. 5, 171–177 (1996).

 

9.            Säumel, I. et al. How healthy is urban horticulture in high traffic areas? Trace metal concentrations in vegetable crops from plantings within inner city neighbourhoods in Berlin, Germany. Environ. Pollut. Barking Essex 1987 165, 124–132 (2012).

 

10.          Vergé Leviel, C. & Calvet, R. Les micropolluants organiques dans les composts d’origine urbaine : étude de leur devenir au cours du compostage et biodisponibilité des résidus après épandage des composts au sol = Organic micropollutants in urban composts : study of their behaviour during the process of composting and residues biodisponibility after spreading on soil. (2001). at <http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=207550>

 

11.          Shayler, H., McBride, M. & Harrison, E. Sources and Impacts of contaminants in soils. (2009). at <http://cwmi.css.cornell.edu/sourcesandimpacts.pdf>

 

12.          Wong, C. S. C., Li, X. & Thornton, I. Urban environmental geochemistry of trace metals. Environ. Pollut. 142, 1–16 (2006).

 

13.          Vick, J. W. & Poe, J. Safe Container Gardening Practice Guide #28. (2011). at <http://louisville.edu/cepm/publications/practice-guides/pdf/28.-safe-container-gardening>

 

14.          K Ackerma, R. P. The Potential for Urban Agriculture in New York City: growing capacity, food security &amp; green infrastructure. N. Y. Urban Des. Lab Columbia Univ. (2011). doi:10.13140/2.1.4748.7683

 

15.          Haubruge, E., J. Verheggen, F., Vandereycken, A., Durieux, D. & Joie, E. Occurrence de la coccinelle asiatique (Harmonia axyridis Pallas), espèce invasive, dans les agro-habitats en 2009. Entomol. Faun. - Faun. Entomol. (2011). at <http://popups.ulg.ac.be/2030-6318/index.php?id=2008>

 

16.          Guilbot, R. Exemples de luttes biologique en milieux urbains et péri-urbain. Courr. L’environnement L’INRA (1991). at <http://www7.inra.fr/dpenv/guilc13.htm>

 

17.          Aubry, C. Diversité et durabilité de l’agriculture urbaine : une nécessaire adaptation des concepts ? Norois 11–24 (2011). doi:10.4000/norois.3739

 

 

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