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Recherche action à l'écolieu Jeanot, Rion des Landes (40)
Mon stage de fin d'études s'est déroulé au sein de l'association C Koi ça, et portait sur l'évaluation de la multifonctionnalité du jardin maraicher de ce lieu.

Pic by Floriane Chevrel

Pic by Floriane Chevrel

Pic by Floriane Chevrel

Pic by Floriane Chevrel
L’agriculture est un processus par lequel les hommes aménagent leurs écosystèmes
pour satisfaire les besoins alimentaires, et autres, de leurs sociétés. Accroître la productivité
des systèmes agricoles a, jusqu’à peu, été le principal but des politiques de développement
agricoles. Bien qu’ayant atteint ses objectifs de nourrir la population française, les limites de
ce productivisme sont apparues, causant une remise en question des principes agricoles
dans leur globalité. Tout d’abord, la surproduction résultant de ces politiques, par le biais
d’exportations subventionnées, a inondé et déstabilisé les marchés agricoles des pays en
développement, creusant les inégalités déjà présentes. Ensuite, l’intensification démesurée
de l’agriculture causa des dommages irréversibles aux milieux et aux ressources naturelles
de nombreuses régions. Les deux principaux rôles de l'agriculture (production de denrées
garantissant la sécurité alimentaire et moteur économique) ont ainsi perdu de leur intérêt
auprès de la société. L’efficacité économique de cette agriculture, qui semble ne pouvoir
survivre sans le soutiens financier des politiques agricoles est devenue de plus en plus
douteuse et discutée. En parallèle, les exigences alimentaires de la société ont évolué, vers
des produits de qualité, plus sains, suite aux grands scandales alimentaires (vache folle,
lasagnes au cheval) ainsi qu’à la montée des inquiétudes sur les garanties sanitaires des
produits de l'agriculture intensive (effets des résidus de pesticides, multi résistances aux
antibiotiques liées à l'emploi inconsidéré de ces molécules dans les élevages…). La notion
d’une production respectant l’environnement s’est rajouté à ces exigences.
De nombreuses interrogations émergent désormais. La place des agriculteurs dans la
société s’est retrouvée controversée (Purseigle and Hervieu 2013), entre l’attachement fort à
la paysannerie, qui présente les agriculteurs comme les dépositaires de la relation hommenature
et les derniers remparts contre les friches des paysages désertés d’un côté, et d’un
autre coté les empoisonneurs-pollueurs ultra-mécanisés. De ces prises de conscience ont
émergé de nouveaux rôles de l'agriculture qui ont conduit aux concepts de développement
durable et de multifonctionnalité.
Le concept de multifonctionnalité permet de redéfinir la complexité et la richesse des
« missions » de l’agriculture (Hervieu, 2002). Elle correspond à la « capacité des systèmes
agricoles à contribuer simultanément à la production agricole et à la création de valeur
ajoutée, mais aussi à la protection et à la gestion des ressources naturelles, des paysages et
de la diversité biologique, ainsi qu'à l'équilibre des territoires et à l'emploi ». Les trois
dimensions comprises dans le terme multifonctionnalité sont en fait les trois fonctions
principales de l’agriculture : économique, sociale et environnementale. Cette conception
modifie la perception et la réalité du métier d’agriculteur, qui devient alors plus diversifié et
plus complexe.
Le concept de microferme découle de cette prise en compte de la multifonctionnalité
de l’agriculture, et du manque de plus-value sociale de l’agriculture conventionnelle. Les
microfermes, conduites la plupart du temps en partie en maraichage, sont définies comme
des petites unités complexes dédiées à la production alimentaire (Fortier 2013). Elles
possèdent les caractéristiques suivantes (Morel and Léger 2015) : surfaces cultivées par
actif inférieures aux recommandations classiques d’installation en maraîchage,
commercialisation en circuits courts, très grande diversité de légumes produits, faible niveau
de motorisation, volonté forte de développer des systèmes agricoles qui participent à la
santé des écosystèmes et au bien-être social.
Ces microfermes, qui tentent des proposer une « autre agriculture », s’inscrivent dans
une démarche agroécologique, au sens de la construction de systèmes alimentaires
durables (Francis et al. 2003). En France, ces projets semblent majoritairement portés par
des actifs non issus du monde agricole, et cela constitue en soi une véritable révolution :
suscitant une réceptivité médiatique importante, cela donne accès à la société à une forme
différente de gouvernance alimentaire, mais aussi environnementale. Avec l’avènement des
circuits courts, les producteurs et les consommateurs choisissent de construire des
alternatives, qui bien souvent se retrouvent aussi dans des modes de vie. Multifonctionnalité
et implication des citoyens se retrouvent au travers de projets agricoles urbains, comme les
jardins collectifs et partagés, où la première des motivations est la production de nourriture,
mais d’autres variables rentrent en jeu : la création de lieux favorisant les interactions
sociales, le contact avec la nature, le partage de connaissance et la formation populaire
(Pourias, Aubry, and Duchemin 2015).
En milieu urbain et rural, des dynamiques novatrices voient le jour, à la recherche de
valeurs mais aussi de sens. L’association C Koi ça, située dans les Landes, tente de stimuler
les consciences en zone rurale autour de l’agriculture et de l’alimentation. Lieu hybride entre
microferme et jardin collectif, l’écolieu Jeanot nous parle du maraichage selon trois angles
d’attaques complémentaires : social, environnemental et économique. Constatant que
depuis la genèse du jardin, la rentabilité économique propre à la production maraîchère n’est
pas au rendez-vous mais que la plus-value sociale de ce grand potager est non négligeable
et même considérable, l’association qui anime ce lieu a voulu comprendre comment la
multifonctionnalité du jardin était créatrice d’externalités sociales : quelles sont-elles ?
Comment les identifier et les décrire ? Comment mesurer leur efficacité ?
Ainsi, comment apprécier l’efficacité d’une activité multifonctionnelle dans le
cas du maraichage bio-permaculturel de l’écolieu Jeanot ?
Par l’enquête ethnographique que j’ai menée à l’écolieu Jeanot de mars à août 2015,
j’ai tenté d’élucider les paramètres déterminant l’efficacité de l’activité maraîchère de ce lieu,
et plus particulièrement dans sa composante sociale.