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Des arbres au milieu des champs :
fiction ou réalité ?
L’agroforesterie est l’association d’arbres et de culture ou d’arbres et d’animaux sur une même parcelle agricole. Ses formes peuvent être très diverses : sylvopastoralisme, pré-vergers, bocages, cultures intercalaires en vergers fruitiers, mais aussi truffiers, noyeraies, vignes, haies…
Simultanée ou séquentielle, elle permet d’améliorer et de diversifier la production agricole tout en restaurant la fertilité des sols et la qualité des eaux. Ces pratiques étaient répandues (ou du moins considérées comme normales) jusqu’au début du 20e siècle. Mais l’histoire récente de l’agriculture française est celle d’une compartimentation de l’espace rural. Les modèles agricoles qui suivirent, fondés sur des objectifs de rendements à court terme et de faibles coûts des énergies fossiles, ont menés à des politiques de remembrement, où l’arbre n’avait plus sa place parmi les cultures. La modernisation du matériel agricole, l’usage croissant d’engrais et de produits phytosanitaires accentuèrent le clivage entre les cultures pérennes et les autres productions agricoles. Cette séparation marquée des usages de la terre entrainèrent les représentations suivantes : la forêt fournie le bois et le gibier, les champs procurent les céréales autres cultures et les prairies sont destinées au bétail. A la différence des pays tropicaux où l’agroforesterie représente une vraie structure sociale, l’agriculteur français est « fâché » avec l’arbre qui sort de la foret, et cela s’observe notamment dans les tensions entre forestiers et fermiers…
Bien que quelques forcenés, soutenus par l’INRA, s’essoufflent à partager les bienfaits des arbres au milieu des cultures, le constat est bien plus fade : ces pratiques n’essaiment pas, et le monde agricole est timide vis-à-vis de l’agroforesterie. Une « réconciliation » est–elle possible, entre l’arbre et l’agriculteur, à la lumière des bénéfices écologiques, financiers et sociaux qui sont en cours de démonstration ? L’enjeu de l’agroforesterie est de réhabiliter le rôle de l’arbre comme outil de production, et non plus comme simple élément esthétique paysager. Cela implique la perception de la multifonctionnalité de l’arbre : un acteur du fonctionnement des paysages mais aussi des usages ruraux. Mais quels sont les verrous à l’expansion de l’agroforesterie en France, et quels sont les leviers permettant de débloquer cette situation ?
L’arbre, un outil de production efficace
Gestion de l’eau et entretien du sol
Les arbres présents sur les parcelles permettent d’améliorer la gestion des ressources en eau. Une meilleure utilisation de l’eau sur la parcelle est favorisée, car les racines de l’arbre puisent de l’eau en profondeur, et n’entrent donc pas en compétition avec les racines des cultures. De plus, le système racinaire de l’arbre permet la structuration du sol, en facilitant la pénétration de l’eau par décompaction du sol. Les recherches scientifiques ont mis en évidence le phénomène d’ascenseur hydraulique : l’arbre remonte l’eau des couches profondes du sol et la rend ainsi disponible à la surface, pour les racines des cultures. La présence d’arbres sur les parcelles crée (selon les espèces d’arbres et les combinaisons plantées) un microclimat, en modifiant ou réduisant l’impact du vent sur les cultures, et en créant de l’ombre. Ainsi, l’évapotranspiration est limitée, ce qui peut être un atout de production en période de sècheresse.
La qualité de l’eau se trouve améliorée par la présence d’arbre sur les parcelles. La rhizosphère, constituée des racines mais aussi du cortège de mycorhizes et de microorganismes, effectue une fonction de recyclage, en allant capter des éléments en profondeur. Cela contribue à l’épuration du sol et de l’eau, par exemple pour les résidus de produits phytosanitaires et d’engrais chimiques. Dans certaines conditions (zone humides et apport en carbone par les végétaux), des bactéries anaérobies effectuent la dénitrification ; l’arbre et la microfaune du sol participent donc à la diminution de la pollution des eaux.
L’arbre, par la biomasse qu’il retourne au sol (feuilles non ramassées,…), favorise l’humification des premiers horizons. La litière décomposée permet de nourrir le sol pour nourrir les cultures exportées, limite les besoins en intrants. L’agroforesterie apporte des résultats en termes de diminution du taux de nitrates dans le sol, notamment par leur absorption hivernale, mais ceci est également lié au ralentissement des écoulements verticaux dans le sol (lié à l’assèchement des horizons profonds par les arbres).
Agrobiodiversité et paysages culturels
Les systèmes agroforestiers, comme on peut aisément le comprendre en comparent à une monoculture, favorisent la diversité biologique. En effet, l’arbre agroforestier est un réservoir et un activateur de biodiversité utile et fonctionnelle. C’est un biotope, à la fois habitat et ressource alimentaire, de la cime aux racines : oiseaux, petits mammifères, insectes, mousses, lichens...
Cette faune qu’il abrite ou nourrit est qualifiée d’utile par l’agriculteur : elle remplit des services de pollinisation, de lutte contre les ravageurs… A l’échelle du paysage, l’arbre agroforestier comme la haie maintiennent une trame écologique, dynamique dans le temps et l’espace. L’arbre est à l’origine d’un paysage composite, fait de rupture et d’hétérogénéité, ce qui contribue au fonctionnement équilibré de ce paysage.
Les systèmes agroforestiers constituent des paysages culturels, comme dans la vallée du Rhône, où les rangées de cyprès protègent les cultures du Mistral.
Faire pâturer des animaux sur des parcelles arborées n’est pas une pratique nouvelle. Les pré-vergers par exemple, permettent de produire des fruits et d’élever des ovins sur les mêmes parcelles. La conduite d’animaux en agroforesterie ou sylvopastoralisme permet d’une part de diversifier l’alimentation du bétail (glands dans les chênaies), mais également d’entretenir le milieu, en évitant sa fermeture progressive. Les multitudes d’aménagements agroforestiers possibles amènent autant de diversité de paysages et de production, apportant une véritable identité territoriale.
En regardant sur le long terme…
A l’échelle d’un bassin versant, la présence d’arbres au milieu ou au bord des parcelles permet de limiter les phénomènes d’érosion. Mais les effets des arbres sur les régulations des intempéries ne s’arrêtent pas là : le feuillage est un frein à l’écoulement des eaux de pluie interceptées. La présence des arbres, par la structuration du sol, favorise l’infiltration de l’eau jusqu’aux nappes souterraines. De plus, le micro-climat crée des conditions hydriques localisées pouvant permettre d’atténuer les stress hydriques et thermiques.
Mais l’arbre agroforestier, comme l’arbre forestier, représente un capital sur pied, mobilisable à long terme, qui ajoute de la valeur à l’exploitation. Outil de production mais aussi ressource à part entière (fruit, fourrage, miel, bois d’œuvre, bois-énergie), l’arbre peut être coupé lorsque il atteint le diamètre optimal d’exploitabilité, et qu’il a été conduit, sur le long terme, de façon à obtenir une bonne qualité de bois. La notion de capitalisation à long terme, bien connu des forestiers, qu’ils pratiquent la futaie régulière ou irrégulière, est moins évidente dans les secteurs agricoles. Planter une production dont on ne pourra bénéficier financièrement que dans 50 voire 90 ans demande un changement de paradigme agricole mais aussi social, en prenant notamment en compte tous les services rendus par l’arbre agroforestier tout au long de son cycle de culture.
Les verrous à l’expansion des pratiques agroforestières en France
Un blocage culturel, frein majeur à l’évolution des représentations
Un des principaux freins à l’établissement de nouvelles parcelles agroforestières sur le territoire est lié au statut de l’arbre. Dans un champ, un arbre est « gênant », « isolé », « joli » à la limite, mais rarement « utile » (sauf ombrage des troupeaux)*. La modernisation agricole d’après-guerre a mené aux politiques de remembrement, et donc d’agrandissement systématique des exploitations et des parcelles, à l’arrachage des haies et des arbres. L’arbre est vu comme un obstacle à la production, au rendement, car il empêche le passage des machines agricoles et fait « perdre de la surface » à l’agriculteur, et fait de l’ombre aux cultures. De plus, l’arbre, apparenté à la foret, représente le sauvage, le non-cultivé, le non-maitrisable. Dans un secteur où chaque processus ou élément doit être contrôlé, il n’a pas sa place.
Verrous agronomiques : trop peu d’exemples
La pratique de l’agroforesterie nécessite de la recherche adaptée à cette pratique, notamment dans le domaine de la sélection variétale. En effet, une sélection de variétés adaptées à l’ombre devra être encouragée, alors qu’elle a été totalement laissée de côté jusqu’à aujourd’hui.
Le conseil en agroforesterie est très léger actuellement : quelques Chambres d’Agriculture possèdent un conseiller Agroforesterie, mais ce sont principalement des associations, comme l’Association Française d’Agroforesterie (AFAF) et Arbre et Paysages 32 dans le Gers, ou bureaux d’étude (Agroof) qui s’occupent de la formation et de la diffusion de connaissances.
Dans son rapport sur la double performance (écologique et économique) des agricultures française, Marion Guillou (Agreenium) souligne que les études concernant la baisse ou la hausse de rendement des parcelles agroforestières (comparées aux parcelles sans arbres) sont principalement des résultats de modélisation numérique. Ces données en cours de validation ne permettent pas à ces systèmes d’être bien documentés, en comparaison aux résultats de l’agriculture de conservation par exemple. De plus, la densité d’arbres dans les plantations, qui est un principe de base de cette pratique culturale, représente un optimum, au regard des bénéfices environnementaux fournis. Cette notion d’optima, locaux et non absolus car liés au milieu et au climat, rend compliqué la mesure de performances, et la généralisation à l’ensemble des exploitations.
Les essais liés aux recherches de l’INRA, notamment sur des parcelles dans l’Hérault, se focalisent sur l’évolution du rendement face au changement climatique, et comment l’agroforesterie pourrait permettre aux systèmes agricoles d’être plus durables. Cependant, les expérimentations sont peu nombreuses et peinent à convaincre les agriculteurs, par manquent de visibilité ou et de validation des résultats. Les quelques pionniers, tels Jack De Lozzo, Pierre Pujos ou Denis Flores, sont perçus par le reste du monde agricole comme des marginaux, et non comme des pionniers innovants.
Leviers possibles
Des politiques publiques « verdissantes »
La politique agricole française « en faveur de l’agroécologie » lancée par le Ministre de l’Agriculture en 2012, et explicitée à travers les différents axes du plan « Produisons autrement », encourage les pratiques agricoles plus « vertes ». L’agroforesterie fait partie des pratiques valorisées et encouragées, du moins dans le plan de communication.
La nouvelle Politique Agricole Commune (2014-2020) est vue par certains comme une opportunité pour développer l’agroforesterie. Jusqu’aux années 2000, l’arbre était considéré dans la PAC comme un « intrus » sur les parcelles : son arrachage entrainait même le versement de primes. Dorénavant, les parcelles agroforestières sont considérées comme des parcelles agricoles, et donc éligibles aux aides du 1er et du 2nd pilier. Cependant, malgré ces mesures de soutien mises en place, certaines incohérences sont encore à simplifier, comme le statut de l’arbre rural dans les baux ruraux et les cessions d’exploitation (où il peut être source de conflit entre le propriétaire et le fermier).
Le Ministère de l’Agriculture, par le fond Casdar, finance sur 2014-2016 le programme SMART. Ce projet, initié par le Groupe de Recherche en Agriculture Biologique (GRAB) et l’AFAF, est destiné à mettre en réseau les acteurs des systèmes maraichers agroforestiers, afin de créer une dynamique nationale autour des partages de connaissances et d’expériences.
L’enseignement agricole : un levier important encore trop peu mobilisé
Bien que citée dans les réformes pédagogiques du plan « Enseigner à produire autrement de la DGER, l’agroforesterie reste marginale, étudiée à titre d’initiative locale, dans les programmes de l’enseignement agricole.
Le bureau d’études Agroof a réalisé un document à destination des formations techniques agricoles. Ces fiches techniques sur l’agroforesterie sont accompagnées d’un court film fictif servant de support pour des débats sur des alternatives à l’agriculture traditionnelles, mais aussi les difficultés liées à la mise en place et au bon fonctionnement d’un système agroforestier.
Recherche, vulgarisation, communication
Le plan de communication du Ministère de l’agriculture est partie sur une stratégie intéressante, en essayant de promouvoir les pionniers et les alternatives viables. Le journaliste Vincent Tardieu, qui a mené pendant deux ans une enquête approfondie sur les pionniers de l’agro-révolution française, est convaincue que c’est en mettant en avant ces innovateurs qui réussissent que l’effet d’appropriation par d’autres agriculteurs peut avoir lieu. Une communication est déjà en cours par les associations, principalement l’AFAF, qui publie des fiches techniques et des témoignages sur différents supports et médias. Cependant, une communication auprès du grand public pourrait être bénéfique notamment pour la reconnaissance d’une potentielle mention ou marque « produit issu de l’agroforesterie », si jamais celle-ci voit le jour. Cette possibilité d’augmenter la visibilité des pratiques agroforestières à travers une mention (marque ou label) a été proposée lors de différents séminaires sur le sujet, mais est toujours en discussion. En effet, ajouter une « mention » de plus à toutes celles existant déjà pour les produits agricoles risque de passer inaperçue pour le consommateur.
Le programme européen Agforward (AGroFORestry that Will Advance Rural Development) qui a débuté en janvier 2014 propose de s’appuyer sur des expériences déjà existantes et des essais en cours pour promouvoir les pratiques agroforestières en Europe, grâce à une approche pluridisciplinaire et participative (chercheurs, agent de vulgarisation, entreprises rurales).
La force du collectif
Un autre levier possible pour le développement de l’agroforesterie en France serait le développement du conseil, agricole et forestier. En effet, la réussite d’un projet agroforestier passe par un projet adapté aux conditions pédoclimatiques des exploitations (par exemple pour le choix des espèces et leur espacement) mais aussi aux contraintes de l’exploitant (temps de travail disponible, dimensionnement du machinisme agricole…). Des savoirs sont donc à mobiliser, ainsi que des capacités d’observation fine et d’expérimentation de la part de l’agriculteur.
Au sein des groupes de développement comme les GEDA, TRAME ou les CUMA, des groupes de travail et de réflexion peuvent prendre forme autour des pratiques agroforestières, en faisant appel aux savoirs et aux connaissances des ingénieurs et techniciens forestiers (connaissance sur la sylviculture menant à du bois de qualité, bien rémunéré sur les marchés).
Le paradigme dont dépend l’expansion de l’agroforesterie en France, c’est celui de ne pas prendre en compte la rentabilité d’une culture donnée, mais le meilleur compromis entre plusieurs rendements. A la lumière des dynamiques sociales, des liens entre les consommateur et les producteurs, et le nombre croissant de pionniers, non-issus du monde agricole, qui s’essaient à ces pratiques culturales « alternatives », le pari de l’agroforesterie se fait en misant sur ceux qui se réapproprient la gestion à long terme, les pratiquent collectives et l’intégration de l’être humain au cœur des systèmes agroécologiques.
Octavie Toublanc Lambault
*Propos recueillis auprès de Régis Diard, agriculteur (polycultures) à Saulgé l’Hopital (49)
Sources :
Agrobiosciences. 2015. “Agroforesterie moderne en France: les verrous culturels, économiques et agronomiques.” (http://www.agrobiosciences.org/IMG/pdf/Note_d_eclairage_Agroforesterie_janvier.pdf.)
Colombo Elodie, Fabrice Bonaldo, and Christophe Tardivon. 2010. “L’Agroforesterie Dans Les Formations Agricoles Techniques.” Bergerie nationale de Rambouillet. (http://www.agroof.net/agroof_ressources/documents/doc_pedagogique_bergerie.pdf.)
Dupraz Christian, and Fabien Liagre. 2011. Agroforesterie, Des Arbres et Des Cultures. GFA. France Agricole.
Guillou Marion, Hervé Guyomard, Christian Huyghe, and Jean-Louis Peyraud. 2013. “Le projet agro-écologique : Vers des agricultures doublement performantes pour concilier compétitivité et respect de l’environnement.” Agreenium.
Tardieu, Vincent. 2012. Vive l’agro-révolution française!. Belin. Regards.
Torquebiau, Emmanuel. 2007. L’agroforesterie. Des Arbres et Des Champs. L'Harmattan. Biologie, Ecologie, Agronomie.
