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Valoriser et conserver les races locales: pourquoi? comment?
Un dossier de Louise Brunet, Maeline Baudet et Hélène Sundermann

Glossaire
AOC : Appellation d'Origine Contrôlée
IGP : Indication Géographique Protégée
PAC : Politique Agricole Commune
MAEC : Mesures Agro-environnementale et Climatique
PRM : Protection des Races Menacées
GMQ : Gain Moyen Quotidien
AMAP : Association de Maintien de l’Agriculture Paysanne
SOQ : Signe Officiel de Qualité
Actuellement 132 races rares ont été identifiées comme « menacées » en France (Lauvie et al) parmi les nombreuses races locales existantes. Ces races rares font partie d’un patrimoine génétique, historique et culturel et la question de leur préservation soulève actuellement de nombreuses questions.
En effet actuellement, la modernisation de l’élevage et la standardisation de ce dernier ont conduit à une sélection au sein des races préexistantes. Il en découle que très peu d'espèces domestiquées sont utilisées pour la production animale. De nos jours seulement 14 espèces d’élevage sont utilisées pour produire 90 % de la production totale de produits animaux.
Parmi les espèces locales, nombre de races et de lignées sont donc en déclin. Cependant, le contexte de l'élevage est souvent soumis à des changements, qu’ils soient politiques (volonté de production intensive), climatiques ou culturels. Certaines races semblent actuellement bien adaptées, mais elles risquent d'être inadaptées aux conditions futures, notamment dans un contexte de changement climatique important. Il est donc indispensable de protéger et de conserver les races traditionnelles existantes peu ou pas utilisées actuellement. En effet, ces races constituent une ressource de gènes qui pourraient être utile aux travaux de sélection futurs avec comme objectifs : une meilleure adaptation à des conditions climatiques défavorables, une résistance aux maladies, ou une meilleure polyvalence.
Cette biodiversité est un réservoir de solutions à disposition des hommes qu’il est essentiel de préserver. De cette double problématique entre déclin de races locales peu utilisées en production et le besoin de conserver leur diversité génétique se pose la question de savoir comment les conserver et quelles pourraient en être les utilités ?
Pourquoi conserver les races locales aujourd’hui ?
Patrimoine génétique
Comme cela a été mentionné plus tôt, il est important de conserver les espèces locales pour leur diversité génétique. De ce fait de nombreux programmes de préservation ont été mis en place et l’utilisation de races locales dans des programmes d’amélioration de races existantes a permis de répondre aux besoins des éleveurs. Par exemple l’apport de races locales dans des lignées de sélection peut permettre d’améliorer les performances des animaux (ex : ajout Montbéliarde dans les lignées laitières pour leurs propriétés) ou résoudre des problèmes de consanguinité. En effet, actuellement trois races laitières représentent 92% du cheptel laitier en France le problème de consanguinité, notamment en Prim’Holstein est récurent (Idele.fr). La préservation des espèces locales va de paire avec la création d’une cryobanque qui a pour objectif de « préserver la variabilité génétique intra-race et à limiter l’augmentation du taux de consanguinité tant pour les races locales que pour les races en sélection » (ifip.fr). Enfin, la mise en cryobanque est à la fois une assurance pour l'avenir et la constitution d'une « réserve » dans laquelle il est possible de puiser soit pour réintroduire certains caractères délaissés à un moment donné et redevenus intéressants ou nécessaires, soit réintroduire de la variabilité génétique et éviter les problèmes de consanguinité.
Pour leurs rôles au sein des services écosystémiques
Les services éco-systémiques sont les bienfaits que l’Homme tire des écosystèmes et de leur biodiversité, et l’élevage fait partie intégrale de certains écosystèmes et est essentiel à leur équilibre. Parmi ces écosystèmes fragiles, les Causses et les Cévennes, classées au patrimoine mondial de l’Unesco, sont des exemples parfaits de systèmes d’agro-pastoralisme de la région méditerranéenne. Ils montrent la relation culturelle qu’il peut y avoir entre l’Homme et un paysage. En effet, les moutons de race locale Raïole qui y paissent, rendent un service écosystémique en entretenant les pâtures et en maintenant un héritage culturel par leur présence. La chèvre des fossés, race locale mise en avant dans la région Bretagne, est défendue par des associations d’éleveurs (ASP chèvre des fossés). Cette chèvre, comme les moutons de race Raïole dans les Cévennes participe à l’entretient des paysages par son rôle en éco-pâturage des bordures et fossés. De plus, cette chèvre étant très rustique et peu demandeuse en terme de fourrages, elle peut permettre de valoriser des parcelles (de 450à 1500€/ha) ou bordures de routes.
Les animaux, en plus de jouer un rôle culturel ou de maintien des paysages peuvent jouer d’autres rôles au sein des écosystèmes. Ces derniers peuvent, par exemple, aider à protéger des feux de forêt, comme cela se fait beaucoup dans le sud de la France ou en Espagne. Et en plus de réduire les risques d’incendies, la présence d’espèce pâturantes peut avoir un effet bénéfique sur la biodiversité et le développement rural (Ruiz-Mirazo et al. 2012). Il est également bien connu que l’entretien des alpages par les races bovines Abondance et Tarentaises en France est primordial dans les zones montagneuses. Sans le pâturage des hauts alpages en été, des herbes moins appétissantes et des buissons se développeraient, le paysage serait moins ouvert, ce qui déplait aux touristes et augmente le risque d’avalanches. De plus l’acidité des sols augmenterait ce qui réduirait sa richesse (Verrier et al. 2005). De nombreux autres exemples d’utilisations de races rares ou locales pourraient argumenter le rôle de ces dernières en tant que service éco-systémiques. Nous avons notamment cité précédemment l’importance des montons de race Raïole comme dans la relation culturelle homme/animal grâce au maintient d’un héritage. Il est donc primordial de s’intéresser à ces intérêts sociaux et sociétaux pour mieux comprendre pourquoi préserver les races locales.
Le rôle des races locales en tant que services sociétaux
Les animaux de races locales, sélectionnés depuis des millénaires par les éleveurs pour répondre à leurs besoins et être adaptés au mieux à leur environnement ont un rôle sociétal important.
Maintien d'activité et d’un patrimoine dans certaines régions reculées
Puisqu’elles ont été spécialement sélectionnées au cours du temps pour être adaptées au mieux à leur environnement, les races locales sont actuellement les seules à pouvoir être exploitées dans des régions hostiles et reculées, par exemple la chèvre de fossés en Bretagne. L’élevage de races locales, en plus d’avoir un intérêt de valorisation de milieux peu accessibles ou de régions reculées peut permettre une augmentation de revenu des éleveurs à travers l’utilisation de SOQ reliées à une race et un territoire. En effet, la valorisation de la race via un produit sous SOQ territorialisé, lorsque la race locale est mentionnée dans le cahier des charges, peut inciter au maintien de cette race locale et peut même devenir un moteur de son développement (Audiot et Rosset 2005, Lambert et al 2006). Lambert et al (2006) ont d’ailleurs montré que les fromages AOC du Nord des Alpes (Races : Tarentaise, Abondance ou Montbéliarde) permettent aux éleveurs les produisant de valoriser leur lait à un prix supérieur de 20 à 40% au prix du lait pour des productions non AOC dans la même zone d’élevage ou de collecte. Cette meilleure valorisation du lait permet ainsi à des éleveurs en difficulté de pouvoir subsister dans des régions ou l’élevage est souvent difficile et peu productif (vaches entravées en hiver, accès difficile aux céréales).
Education des populations à la qualité locale, au terroir, à la tradition, à la typicité, qualité gastronomique
La notion se SOQ vue plus précédemment permettrait aussi de créer un lien direct entre race et produit via la mention de la race dans le cahier des charges du sigle de qualité (AOP ou AOC) comme cela est prévu dans la législation. Ainsi les SOQ pourraient permettre de mieux mettre en avant les corrélations entre la qualité du produit, sa provenance (terroir) et la race utilisée. Comme le soulignent Bérard et Marchenay (2006), «les SOQ constituent un objet pertinent pour appréhender la façon dont la combinaison de facteurs naturels et humains peut influencer la diversité biologique et culturelle. ». De plus, les consommateurs étant de nos jours de plus en plus détachés des bassins de production, ils sont souvent peut renseignés sur la provenance des produits ou encore leur mode de production. Le recours à la l’élevage de races locales, portant souvent le nom de la région ou permettant la création d’AOP ou d’AOC permet ainsi d’informer le consommateur sur la provenance d’un produit et de le relier à un terroir. (Boutonnet,2010) .
Comment valoriser et conserver les races locales?
Aides PAC et projets à l'échelle européenne
La Politique Agricole Commune (PAC) qui est en vigueur jusqu’en avril 2015 (une réforme est prévue et sera mise en place à cette date), prévoit la mise en place d’un certain nombre de mesures qui favorisent le maintien des races locales menacées. Ainsi, les éleveurs de races à petits effectifs peuvent prétendre aux MAEC (Mesures Agro-environnementale et Climatique) de protection des ressources génétiques : L’aide de protection des races menacées de disparition (PRM). Cette aide se décline comme suit : - Un montant de 50 €/ UGB/ an pour la conduite d’animaux des espèces caprine, ovine, porcine et bovine qui font partie de races locales. - Des montants plus élevés (107 et 153€/UGB/an) pour les races équines. La liste des races qui permettent de bénéficier de ce dispositif, a été établie à l’échelle nationale. On y retrouve 19 races bovines, 27 races ovines, 6 races caprines, 6 races porcines, 7 races asines, 14 races équines. Néanmoins, au niveau régional, des priorités plus grandes ont été accordées à certaines races, plus traditionnelles. (Direction départementale des territoires des Hautes-Pyrénées). D’autres initiatives existent, comme par exemple le projet EuReCa « Local cattle breeds in Europe : Development of policies and strategies for self-sustaining breeds “. Ce programme (Sipke Joost Hiemstra et al), en vigueur de 2007 à 2010 avait pour mission d’assister la conservation, le développement et l’emploi durable de races bovines locales en Europe. Constitué d’experts de toute l’Europe, ce consortium EuReKa, a collecté des données afin de proposer des réponses à la question : « Comment peut-on positivement influencer le future des races locales en Europe ? ». De tels groupes de réflexion montrent à quel point les enjeux sont de taille internationale.
Démarches régionales
Cette volonté de conservation des races locales se retrouve également à un niveau national, comme en France où la loi d’orientation agricole aborde aussi des aspects de conservation des ressources : « préserver la diversité des ressources zoogénétiques en faisant un effort spécifique pour les races locales, en particulier dans les zones de montagne. » (Loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006).
Le rôle des passionnés
La conservation de certaines races locales ne peut se faire sans l’intervention d’éleveurs et de professionnels passionnés. En effet, parfois les programmes et actions qui sont mises en place pour sauver in extremis des races locales sont possibles uniquement par la volonté de quelques passionnés. Sans cette volonté inébranlable certaines races auraient disparues (par exemple la chèvre des fossés qui a fait l’objet d’action de sauvegarde par des professionnels de l’écomusée de Rennes). De plus, compte tenu des performances zootechniques moins grandes des races locales, le revenu que se dégagent les éleveurs est souvent moins important qu’avec les races les plus performantes. D’autres motivations que l’intérêt pécunier doivent être présentes.
Types de structures : exemple des races bretonnes.
En Bretagne une étude a été réalisée, comparant les exploitations agricoles de Bretagne aux exploitations agricoles de races locales en Bretagne. Cette étude a été réalisée par Clémence Morinière, Animatrice technique au GIE élevage de Bretagne. Il ressort de cette étude que 25 fermes constituent le groupe des races locales. Les exploitations de races locales sont plutôt de petite taille, avec près de 80% des exploitations à moins de 50 ha contre 55% des exploitations bretonnes. Près de 60 % des fermes du groupe des races locales sont en agriculture biologique (2012) et possèdent un atelier de transformation à la ferme (2010). D’un point de vue économique, il est cependant à préciser que le chiffre d’affaire dégagé par les les exploitations en races locales est beaucoup moins conséquent que le chiffre d’affaire moyen en Bretagne (30 000 € vs. 136 470 €). Cela se traduit néanmoins par des exploitations qui par leur petite taille sont plus faciles à transmettre, le coût de reprise n’étant pas trop important. La reprise des exploitations suscite aujourd’hui beaucoup d’interrogations. Pour rassembler l’intégralité de ces résultats, le groupe d’exploitations de races locales bretonnes a été évalué sur le modèle de l’agriculture paysanne. Ce diagnostique permet par six axes de donner une vision globale de l’exploitation dans son environnement. Chacun des six axes d’eux reflète les fonctions sociale, économique et environnementale du projet d’agriculture paysanne.
Pour les exploitations de races bretonnes, les résultats sont les suivants :
- Travail avec la nature : 87%
- Qualité des produits : 82.5%
- Partage des ressources : 83 %
- Développement local : 61%
- Transmissibilité : 56.5 %
- Autonomie : 76.5 %
Pour les critères qui ont été sélectionnés par ce diagnostic, les exploitations de races locales obtiennent de bons scores, ce qui nous éclaire plus sur le type de structures.
Conservatoires vivants, écomusées, Fédération & association de races locales
Le maintien des races locales se fait également via des associations, des fédérations et des organismes de sélections, qui participent à la dynamique autour de ces problématiques. Ainsi, pour chacune des races référencées à l’échelle nationale comme pouvant bénéficier de la PRM, un organisme de sélection ou de conservation a été agrée par le ministère de l’agriculture. Ainsi, par exemple pour la race Bretonne Pie Noire, c’est la Société des Éleveurs de la Race Bretonne Pie Noir qui a été agréée. Ces fédérations et associations dont le rôle est essentiel ont des missions multiples : - Dynamiser les réseaux d’éleveurs (via des rencontres et de la communication) - Accompagner les professionnels (via du conseil et de l’information) - Relier les produits au patrimoine et au territoire (par la promotion des produits) Il en existe de nombreuses en France ainsi que des écomusées vivants, qui se chargent de la conservation de ces races locales. Citons à titre d’exemple le Centre Régional de Ressources Génétique du nord-pas de Calais, dont une des missions est de connaître les lignées des races régionales à faibles effectifs, dans le but d’éviter la consanguinité et de maintenir le patrimoine génétique. Ce centre a aussi un rôle dans le conseil aux éleveurs et la mise en place de filières de valorisation des produits de races régionales.
Sensibilisation des populations
Le maintien des races locales ne peut se faire sans un débouché commercial. Or, dans de nombreux cas, les produits issus des races locales présentent des particularités, soit en termes de qualité, soit en termes de prix. En effet, ces races jugées « moins performantes » ont souvent été moins sélectionnées. Le coût de production est alors plus élevé. Prenons par exemple le Porc Blanc de l’ouest, race locale de Bretagne dont le GMQ est de 682g/j entre 30 et 90j. Le coût de production d’un kilo de viande sera bien plus élevé que celui d’un kilo de viande de Large White dont le GMQ au même âge est de 848g/j (LABROUE et al. 2000), l’alimentation étant le premier poste de dépense en élevage porcin. Un consommateur non averti, ne comprendra donc pas la différence de prix. De façon similaire, certains produits issus des races locales ont une typicité et une particularité qui parfois peut effrayer le consommateur. Ainsi, à titre d’exemple, la viande de la vache armoricaine est une viande rouge persillée de graisse (Documentation races Bretonnes). Dans le contexte actuel de « course à la minceur » un consommateur non connaisseur de la qualité gustative d’un tel produit, ne l’achètera probablement pas. Il est donc primordial de communiquer et de faire la promotion de la qualité et de la typicité de ces produits.
Labels de qualité et d’origine : AOC, IGP, AB
Les signes officiels de qualité qui attestent du respect d’un cahier des charges peuvent participer à la vente des produits issus de races locales. Ainsi, ces labels qui « rassurent » le consommateur sont aussi des moyens de justification d’un prix parfois plus élevés. Par exemple pour obtenir le label AOC de la charcuterie Corse, les porcs utilisés pour la transformation charcutière doivent être des porcs de races nustrale (Figure 3), une race à petits effectifs. Ces labels de qualité, via leur cahier des charges sont aussi des moyens de « forcer » l’élevage de races à faibles effectifs, et de communiquer avec le consommateur. Par ailleurs soulignons que nombreuses exploitations en races locales sont en système d’agriculture biologique, plus respectueuse de l’environnement et qui concorde souvent avec la vision de l’agriculture qu’ont les éleveurs de races locales. Ce label, lui aussi permet une communication avec les consommateurs.
Des circuits de distribution courts
Comme cela a été évoqué précédemment, les produits issus des races locales sont dans une majorité des cas plus cher à produire. La vente de ces produits via les circuits conventionnels, c’est-à-dire les circuits longs avec plusieurs intermédiaires ne permet pas aux producteurs de se dégager un revenu suffisant. Très souvent, des circuits courts sont empruntés pour la distribution des produits. A titre d’exemple, on peut citer les AMAP (Association de Maintien de l’Agriculture Paysanne), la vente à la ferme, les magasins de producteurs. Tous ces circuits de vente, en supprimant des intermédiaires, permettent de rapprocher le consommateur du producteur et par cela favorisent la communication et la promotion des produits et de leur typicité et le savoir faire des producteurs. D’autres évènements, telles les foires et salon abondent dans ce sens en rassemblant éleveurs, producteurs et animaux en un même lieu d’échange et de rencontre. Ainsi, à titre d’exemple, la foire de la vache nantaise en Bretagne connait un fort succès et est une occasion pour les producteurs de valoriser leur race via des démonstrations culinaires.
Modèle de conservation génétique
Afin de déterminer les animaux à préserver en priorité, Canona et al ont fait une étude sur la diversité au sein de 18 races bovines locales européennes. Le but était d'établir une variabilité génétique à la fois au sein d’une population mais aussi entre les populations puis de les classer afin d'orienter les programmes de sauvegardes sur les races le plus intéressant génétiquement, car très différentes des autres.

On observe sur le graphe ci-dessus (Figure 5) cinq races françaises (la Mirandaise, la Brune, l'Aubrac, la Salers et la Gasconne). La Mirandaise est la plus éloigné des 4 autres et son extinction, ainsi que celle de la race Alistana, représenterait une perte de 17 % de la diversité génétique bovine. Pour réaliser ce classement 16 microsatellites ont été comparés, l'hétérozygotie et l'écart génétique entre les différentes races bovines ont été testés. Voici donc un outil de sélection en aval de la conservation.
Selon la race l'objectif de sélection est différent, si elle est :
- Menacée (petit effectif) : le but est d'éviter sa disparition complète.
- Locale : le but est de ne pas devenir menacée, de maintenir la diversité génétique maximale et d'éviter la consanguinité au possible.
- Sélectionnée et exploitée : le but est alors le progrès génétique et la variabilité intra-population
Une fois le projet de conservation entamé, que la race soit locale ou menacée, des plans de gestion de la reproduction sont mis en place. La gestion dite de l'horloge est un modèle plutôt performant, comme le montre l'exemple des ovins Solognote. En effet leur effectif est passé de 400 brebis en 1975 à 2100 brebis en 1982, et à 3000 brebis en 2002. Les brebis avaient été regroupées en 12 groupes. Les animaux les plus apparentés étant présents dans un même groupe, avec un bélier de chaque groupe se reproduisant dans un autre groupe. Ces béliers étaient régulièrement remplacés afin d'éviter qu'un bélier ait une trop grande descendance. De cette manière une bonne diversité génétique a pu être maintenue au sein de cette race (Lauvie, 2007).
Une méthode encore plus adaptée pour maximiser la diversité génétique est d'accoupler au cas par cas en utilisant les pedigrees des animaux. Mais cette méthode s'avère plus compliquée dans la pratique car les pedigrees sont souvent absents ou incomplets. De manière générale cette technique s'applique plus sur les grandes espèces comme les bovins (Canona et al., 2001). La conservation de races locales ne peut que se faire par une coopération entre les éleveurs, les centres de sélection et les organismes de développement scientifique (Labatut et al., 2012).
Cryobanques (importance de la conservation)
Actuellement uniquement les Pays-Bas, le Brésil, les Etats Unis et la France ont une stratégie de conserver des semences et des ovules (fécondés ou non) dans des cryobanques. La cryobanque nationale française a été crée en 1999. Il s'agit de sécuriser à long terme, la conservation étant réalisée in situ sinon (Lauvie 2007). Pour exemple, elle contient à ce jour plus de 170 000 doses de semences provenant de 19 races différentes. On note néanmoins de grandes différences entre les races : ainsi la race Salers n'a que 400 doses de 2 mâles conservées, et les races Bleu de Bazouger, Lourdaise et Villard de Lans n'ont qu'un seul donneur, alors que des races comme la Normande ou la Prim’Holstein qui ont plus de 30 000 doses de 200 mâles différents. L'exemple de la race Armoricaine démontre l'importance de telles mesures de conservation. En effet cette race, issue d'un croisement de la race anglaise Durham avec la bretonne pie rouge, a quasiment disparu en 1981, avec seulement 47 vaches inscrites en pure race, dont une majorité déjà très âgée. Grace à la semence congelée de 14 taureaux, des vaches ont pu être inséminées. La présence de cette semence a permis de sauver la race de l'extinction, elle comptait en 2011 166 femelles reproductrices.
Difficultés et limites
Conserver ou valoriser, une différence importante
Avant de pouvoir valoriser une race, il faut d'abord mettre en place un système de conservation, car la valorisation peut être une menace à la conservation. Ainsi, les produits issus du porc de Bayeux étaient tellement demandés que les éleveurs ont vendu leur production sans penser à renouveler les truies. L'effectif de la race a de ce fait baissé de plus de la moitié depuis 13 2005, avec uniquement 122 truies en reproductions en 2011. Le porc de Bayeux a donc été victime de son succès et montre l'importance de bien consolider la conservation avant de valoriser une race et ces produits (communication personnelle Ecomusée de Rennes). Des exemples de conservation et de valorisation réussies existent, tels l'augmentation des cheptels de la Bretonne Pie Noire (valorisation de la viande et des produits laitiers), du porc Gascon (valorisation du jambon) ou bien les Coucous de Rennes (valorisation de la viande et des œufs) (Lauvie, 2007). Il faut prendre en compte que la valorisation a aussi un coût. Pour valoriser une race il faut conserver une variabilité génétique, voir sélectionner les individus pour la valorisation, mais aussi un revenu économique à court terme. La valorisation du porc Blanc de l'Ouest à, pour le moment, échoué par manque de moyen (prêt bancaire, technicien, ..). Il en est de même pour la valorisation de la Géline de Touraine, où les coûts de sélection par an s'élevaient à 38 000 euros et auxquels s'ajoutaient les coûts de certification (11 000 euros) pour le label rouge. Ces coûts ne pouvant être couvert les éleveurs ont décidé d'abandonner le label (Lauvie, 2007). Mais d'autres conflits existent pour la valorisation. Comme déjà mentionné la valeur d'une race ne correspond pas seulement à des critères économiques, mais aussi aux services environnementaux qu'elle peut rendre ou à sa valeur culturelle. Différents points de vue pour la sélection peuvent donc exister.
Éleveurs professionnels et amateurs
Les races à faibles effectifs et locales appartiennent souvent à quelques éleveurs, mais aussi à des amateurs qui les élèvent pour le plaisir. Leur rôle n'est pas à négliger car c'est souvent la passion d'un ou plusieurs amateurs qui a permis de conserver une race in-extremis (chèvre des fossés, Coucou de Rennes) (communication personnelle de l'écomusée de Rennes). Selon l'utilisation faite de ces animaux, les objectifs de sélection peuvent être différents, voir opposés. Par exemple, dans la sélection de la vache Vosgienne certaines personnes préconisent une sélection vers une quantité de lait plus importante (vente en laiterie) alors que d'autres veulent conserver une qualité de lait (transformation à la ferme). Une situation similaire existait chez le porc Corse : les éleveurs n'arrivaient pas à s'accorder sur les standards de la race, qu'il s'agisse de la forme des oreilles ou si elles étaient tombantes ou non. Un accord a été trouvé en incluant les deux types d'oreille dans le standard. Un autre type de conflit est apparu pour l'élevage du Mouton landais : un seul éleveur, qui possède une grande partie des effectifs encore présent refuse de participer au plan de croisement. Les populations ont donc des problèmes de consanguinité assez élevée (Lauvie, 2007). Malgré de nombreux conflits il est à espérer pour ces races que des accords entre éleveurs et amateurs soient possibles, afin de pouvoir encore les préserver pour les générations futures.
Conclusion
L’étude de quelques races locales nous a permis de mesurer toute leur importance. Patrimoine génétique, service écosystémiques rendus, services sociétaux, patrimoine historique et culturel, les raisons pour s’engager dans le maintien et la préservation de ces races ne manquent pas. Néanmoins, ce n’est pas toujours une tâche aisée, et cela nécessite à la fois la mise en place de politiques publiques (à l’échelle régionale, nationale, et même européenne), mais aussi une volonté sans faille d’acteurs des filières animales, convaincus par l’importance de ces races. La conservation doit se faire à la fois en cryobanque, mais aussi en cheptel bien vivant. Les labels et signes de qualités participent à faire connaître les races et leur importance. Néanmoins, dans de nombreux cas, la préservation de races locales reste un équilibre fragile, qui peut être remis en cause par une gestion qui n’est pas optimale ou des conflits d’intérêts.
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